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Magie & Sorcellerie
Proche de la magie, à laquelle on l'oppose parfois, la sorcellerie reste mal définie. L'anthropologue Evans-Pritchard a publié en 1937 un ouvrage, «Sorcellerie, Oracles et Magie chez les Azandés», devenu un classique sur le sujet. Cherchant à comprendre la pensée de ce peuple d'Afrique, il a montré que les pratiques et les croyances des Azandés obéissent à une logique cohérente, intelligible et rigoureuse.
ETUDE DE CAS : Après des heures de marche en plein soleil dans la savane, un homme arrive près d'un groupe d'habitations et décide de prendre quelque repos. Il s'allonge sous un grenier à mil. Rongé par les termites, un poteau cède et le grenier s'écroule, écrasant l'homme endormi. Les Azandés se demandent aussitôt : « Qui l'a tué ? » Chacun peut fort bien constater que le grenier était rongé par les termites. Mais pourquoi s'est-il écroulé exactement au moment où l'homme dormait dessous ? Et, si la fatigue et la chaleur suffisent à expliquer que l'homme a désiré se reposer à l'ombre, pourquoi sous ce grenier-là, et non pas sous tel autre, à côté, qui est resté intact ? La question reste posée : « Qui l’a tué ? » ANALYSE : En Afrique, les croyances religieuses ne prêtent aux dieux qu'un intérêt très limité aux affaires des hommes : les divinités ne sont pas censées se préoccuper du salut de ces derniers, ni même juger leur conduite, encore moins s'en venger, à moins qu'elles n'aient souffert d'un manque d'égards de leur part. La malveillance et l'envie sont donc attribuées directement aux hommes, et la religion apparaît comme secondaire par rapport à la sorcellerie, voire comme une « antisorcellerie ». Dans la proximité quotidienne des hommes sont à l'œuvre l'entraide et la fraternité, mais aussi l'envie, la jalousie, la rancune ; celles-ci peuvent être l'explication de tout malheur. Or le malheur est permanent dans une société qui contrôle peu son rapport à l'environnement. Épidémies, famine et accidents : l'infortune est constante, les sorciers sont donc légion. CONCLUSION : Encore faut-il s'assurer que l'on a affaire à un sorcier. C'est là qu'intervient la divination : en pays azandé, selon que le poulet succombe ou non à l'ingestion d'un breuvage toxique aux effets aléatoires, l'imputation est considérée comme vérifiée ou infirmée. La preuve est recherchée, car rien n'est pire que la rumeur d'une accusation latente. Après sa mise en cause, le « sorcier » est condamné à mort ou à payer une compensation. Dans la société occidentale, les contes de fées et leurs adaptations au cinéma proposent une image de la sorcière: souvent bossue, édentée, malpropre et aux cheveux hirsutes, elle traverse les airs, montée sur un manche à balai, pour se rendre au sabbat ; retrouvant là confrères et consœurs, elle se livre avec eux à toutes sortes d'excès alimentaires (on y dévore des bébés) et sexuels (chacun s'unissant à chacune dans d'immenses orgies dont l'inceste, notamment, est une composante centrale), le tout accompagné de diverses profanations (on crache sur la croix, on la piétine, on la détruit) et d'autant d'actes de dévotion à l'égard du diable, supposé présider lui-même à ces agapes, voire posséder sexuellement – sous la forme d'un bouc – chacun(e) de ses adeptes à tour de rôle. Comme Norman Cohn l'a montré, cette figure de la sorcière ne s'est constituée en Europe qu'aux alentours du 14ème siècle. Elle résulte de l'amalgame de plusieurs composantes : les croyances traditionnelles de la paysannerie d'une part, les accusations proférées par l'Église romaine contre les hérétiques d'autre part. «…une réponse aux tensions interindividuelles ou sociales…» On distingue généralement deux magies : blanche et noire. La première vise des buts utiles et socialement approuvés (magies de chasse ou de fécondité, faire venir la pluie, protéger les récoltes) ; la seconde au contraire travaille à des fins destructrices et socialement désapprouvées (envoyer la mort, la maladie ou la stérilité, détruire les biens, se venger d'un rival et le rendre impuissant). Mais il est difficile de faire la part du bien et du mal : qu'en est-il par exemple d'une mort envoyée au village ennemi ? En français, « sorcellerie » englobe aussi bien ce qui relève d'un « savoir-faire » délibéré, désigné ci-dessus comme « magie noire », que ce qui relève d'un « pouvoir », transmis le plus souvent héréditairement et mis en œuvre involontairement, souvent même inconsciemment : il ne s'agit plus dans ce dernier cas d'une volonté de nuire, mais bien plutôt d'une incapacité à faire en sorte que ne se réalisent pas ses mauvaises pensées. L'anglais, plus proche en cela des langues africaines, dispose de « sorcery » pour ce qui relève d'un savoir-faire pour le mal, et de « witchcraft » pour ce qui renvoie à une nature foncièrement mauvaise mais agissant, le plus souvent, à l'insu du sujet. Les Azandés distinguent le « sorcerer » qui possède la maîtrise volontaire d'actes magiques nuisibles impliquant la connaissance acquise de substances pour préparer des charmes, et le « witch » qui est possédé d'une capacité de faire le mal involontairement. Ces oppositions, essentielles pour l'analyse, doivent être nuancées en fonction du contexte et des spécificités culturelles. Les Bantous, par exemple, savent que pour être un « nganga », un thérapeute efficace et digne de confiance capable de lutter contre les attaques du mauvais sort, il faut être sorcier soi-même, et plus fort que les autres. C'est pourquoi même les guérisseurs et les « antisorciers » sont craints. Selon M. Marwick, la sorcellerie intervient comme une réponse aux tensions interindividuelles ou sociales (jalousie, enjeu économique ou de pouvoir...). Michelet a fait de la sorcière – doublement opprimée en tant que femme – le symbole de la protestation du peuple paysan contre la domination des nantis. Jean Palou, pour sa part, soutient que la sorcellerie, telle qu'elle a été réprimée en Europe, est « fille de la misère, fruit maudit, par les Églises et le pouvoir, de la révolte ». Même si de tels modèles explicatifs ne fonctionnent pas pour la sorcellerie rurale dans l'Europe contemporaine, que les ethnologues s'efforcent d'étudier « de l'intérieur » (en se faisant initier), l'existence des sorcièr(e)s reste liée à la tentative d'exorciser le malheur. |
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